Appartement des Sifra

Il sourit une dernière fois à la jeune dame avant qu'elle ne passe devant lui, la tête haute, laissant tout comme lui les faiblesses de cette dernière heure dans la pièce qu'ils quittèrent .. Le chemin jusqu'à l'ascenseur fût pesant, les odeurs et le silences planant au dessus d'eux .. Lorsqu'il la rejoins dans la petite pièce de fer qu'était l'ascenseur, à la vue de tous, pour quelques secondes, le temps d'un sourire, il enleva son masque, mais c'est un visage de marbre, étiré d'un simple sourire provoquant, qui sortit de la cabine pour suivre Okko à travers les ruelles de la basse-ville, au milieu des déchets et des puanteurs .. Tant de pauvreté alors que lui habitait dans le "luxe" ne l'avais jamais gêné jusqu'à aujourd'hui, mais cette vision le mettait mal à l'aise ce soir .. les gens se retournaient sur leurs passage, chuchotant parfois en le montrant du doigts .. Nul doute que plus d'un voulait sa peau .. Il se contentait d'avancer la tête haute, ignorant les badauds vivant dans la misère, serrant parfois lorsqu'il entendit un "C'est lui, l'enflure qui a fait enfermé Mike .." ou un "C'est par sa faute qu'on est dans cette merde!" s'élever sur son passage, et c'est avec un énorme soupire de soulagement qu'il pénétra dans la pièce exigüe qui, à sa grande surprise, ne sentait rien si ce n'était le renfermé .. C'en était presque plaisant .. Il la détailla en un regard, notant tout les détails en quelque seconde, puis il posa son regard sur le jeune enfant, 5, 7 ans peut-être, posté dans un coin de la pièce qui le regardait avec une mine sombre .. Il se retourna vers Okko, comme pour quérir son aide, ce qu'il fallait faire .. Il ne savait pas ce qu'il fallait faire .. Et alors qu'au dehors un léger brouhaha s'élevait, il restait pétrifié sur place, attendant un signe de l'un des deux habitants ..

L'homme était resté debout, sans réellement savoir quoi faire, lorsque l'aide qu'il attendait vient enfin, la jeune Okko s'approcha de son enfant et lui résuma en quelques mots la situation. Il ne s'attendait pas à un débordement de joie et d'affection, il se doutait de ce qui devait se dire sur lui en ces lieux, mais les mots que prononcèrent l'enfant le percutèrent de plein fouet une première fois, l’assommant sur place. Il recula même d'un demie pas, horrifié puis, lorsqu'il prit conscience de tout ce que ces mots renfermaient, ce fut une flèche d'acier qui s'enfonça dans son cœur. A partir d'ici tout devint un peu flou, il entendait d'une oreille lointaine les mots d'Okko qui ne le fit pas se sentir mieux .. Cet enfant de .. cinq? Sept ans? Il ne le savait même pas .. Cet enfant venait de lui dire ses quatre vérités en une simple phrase ..
Doucement, il revint à lui, émergea .. La voix d'Okko terminant sa tirade lui était désormais plus accessible, plus proche .. Il cligna des cils et passa une main à l'endroit où se trouvait d'habitude sa rose qui, ce soir, n'était pas à sa place .. Il se souvenait qu'elle était tombé plus tôt dans la soirée. Relevant la tête il ouvrit la bouche pour la refermer et, s'approchant doucement d'une démarche hésitante, glissa son doigt sous l’œil de la jeune femme pour s'approprier la larme naissante puis souffla doucement dessus. Enfin il baissa les yeux vers .. son enfant .. et le regarda, le caressant du regard .. il s'accroupit alors pour se mettre à sa hauteur et prononça d'une légère voix tremblotante:

"Tu as raison jeune homme .. Je .. J'aurais du être là plus tôt .. Et je l'aurais certainement été si j'avais pu .. Mais je ne pouvais pas .. Je te demande de m'excuser, maintenant je suis ici et je ne compte pas m'en aller .. Je vais prendre soin de vous, et même si j'ai conscience que jamais ca n'excusera mais longues années d’absence ni .."

Il jeta un coup d’œil à la jeune femme postée devant lui.

"Ni mes actes les plus abominable .. Je tient à essayer .. Eliot .. Me donnerais-tu une chance?"

Il baissa alors les yeux sans se redresser, attendant une réaction d'un des deux habitant de l'appartement, son cœur martelant sa poitrine d'anxiété ..

Eliot eut un petit rire joyeux lorsqu’il fut étreint par sa mère. Cette dernière semblait être au comble du bonheur. Sans doute était-elle heureuse parce qu’il ne rejetait pas Théos, parce qu’il lui donnait une possibilité de se racheter. En tous les cas, l’enfant ne regrettait pas sa décision. Au fond, tout le monde devrait avoir droit à une seconde chance : une personne pouvait changer et ce ne serait pas juste de la juger sur ce qu’elle aurait pu faire dans le passé. A la place de Théos, lui aussi aurait aimé qu’on lui permette de réparer ses erreurs. Pour le jeune garçon, il était impossible que son père ait menti, qu’en réalité il ne s’occupe pas d’eux, comme il l’avait promis. Premièrement, parce que si c’était le cas, cela ne serait pas logique : Théos les aurait laissés moisir ici sans se préoccuper d’eux, or, ce n’était pas le cas. Deuxièmement, parce qu’il lui avait paru parfaitement sincère. Bref, il ne se faisait pas de soucis de ce côté-là. Quoi que… Il restait tout de même méfiant, au fond. Une partie de lui ne suivait pas ce raisonnement. Cette partie espérait que Théos ne fasse plus de mal à sa mère et ne serait pas totalement rassuré avant qu’il lui prouve que cela n’allait plus se reproduire. Le garçon rendit son étreinte à Okko, même si celle-ci l’étouffait un peu. La voir aussi joyeuse le mettait lui aussi de bonne humeur : il adorait faire sourire les gens, les rendre heureux. « Elioooot, je t'aime mon fils adoré !! Tu vas voir, désormais tout sera plus facile, nous mettrons tout deux du temps à lui pardonner mais nous y arriverons n'est-ce pas ? » En guise de réponse, il adressa un hochement de tête à sa mère et lui lança un regard qui signifiait « moi aussi je t’aime, maman ». Une certitude s’implanta dans son esprit. Oui, ils y parviendraient. Eliot lui en voulait encore beaucoup mais au fond de lui, il savait que ce n’était qu’une question de temps pour qu’il mette tout ce qu’il avait pensé de Théos de côté. C’était encore un enfant, et comme beaucoup d’entre eux, il avait une humeur assez changeante, il pouvait passer des larmes au rire en un quart de seconde… C’était un peu pareil dans cette situation, même s’il était vrai qu’il fallait quand même plus d’un quart de seconde pour passer d’une semi-méfiance à l’amour. Eliot se mit alors à rêver à une possibilité d’avenir, loin de la misère de cet endroit. Théos, Okko et lui, formant une véritable famille. Des moments de joie comme celui-ci formeraient leur quotidien, mais il manquait encore une personne dans le câlin : Théos.

Eliot frémit en se rendant compte qu’il ne s’imaginait pas que son père puisse se joindre à eux, du moins pas pour l’instant. C’était trop tôt. Mais plus tard, sûrement, lorsqu’ils auraient fait plus ample connaissance –car pour le moment, il ignorait tout de Théos-, lorsqu’ils auraient appris à se faire confiance, à s’aimer… Sa mère semblait penser la même chose et elle le dit à l’homme qui s’était relevé et légèrement écarté, en attendant qu’ils aient fini de s’étreindre. D’ailleurs, Okko semblait ne plus vouloir le lâcher et il dut attendre la fin de sa phrase pour qu’elle desserre ses bras autour de ses épaules. Le gamin lui adressa un sourire enfantin lorsqu’elle se mit à replacer comme il fallait ses mèches rebelles. Il savait qu’elle aimait bien le coiffer, prendre soin de lui. Et lui, adorait ce genre d’attention. Pour sa part, il accordait peu d’importance à ses cheveux et il arrivait qu’il se décoiffe exprès pour que sa mère mette de l’ordre dans sa chevelure noire. Il jeta un œil à Théos et chercha à voir s’il avait hérité de certains de ses traits physiques. Bon, déjà, il y avait les cheveux mais la forme de son visage se rapprochait un peu plus de celui de sa mère. Ses observations furent interrompues par la voix d’Okko.

Il n’aimait pas quand les adultes utilisaient des mots qu’il ne comprenait pas, il ne trouvait pas ça gentil pour lui. Pourtant, il savait aussi qu’ils ne le faisaient pas forcément exprès et que c’était comme ça qu’il enrichirait son vocabulaire. S’il parlait bien pour un enfant de son âge, c’était sûrement grâce aux nombreuses questions qu’il avait posé. Okko demanda alors à Théos où ils logeraient et à partir de quand. L’enfant la remercia d’avoir posé cette question, car lui aussi se le demandait. Son père répondit qu’ils vivraient temporairement dans ses appartements, le temps qu’il trouve autre chose et à partir de ce soir. Eliot sourit. Ils allaient enfin quitter ces horribles quartiers. Cependant, il espérait qu’il pourrait quand même continuer de jouer avec ses amis et que ceux-ci ne le rejetteraient pas en apprenant qui était son père. Il eut un pincement au cœur. Que ferait-il si plus personne ne lui parlait ? Il n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps qu’un grand bruit, en provenance de l’extérieur, se fit entendre. Il y avait des cris. Eliot sursauta et se serra un peu plus à sa mère. Que se passait-il ? Il se boucha les oreilles pour le plus entendre le vacarme. Il vit alors Théos changer de visage. Il affichait un air plus dur, plus sûr de lui… et plus effrayant. Le garçon le regarda sans comprendre. C’était ça « le masque » évoqué par sa mère ? Il n’aurait su le dire. La porte s’ouvrit à la volée et un militaire entra après un petit cri de l’enfant, qui commençait à avoir vraiment peur. L’homme annonça à Théos qu’on l’attendait et son père transmit des ordres qui ne plurent pas vraiment à Eliot. Il ne voulait pas suivre ce monsieur, qui était rentré chez eux sans qu’on l’ait invité. Le gamin prit alors conscience qu’ici, ce n’était plus vraiment chez lui. Il vivait chez son père maintenant, et cet homme pouvait les y conduire, lui et sa mère. Le militaire parut mécontent et leur fit signe de le suivre avant de sortir. Théos prit la parole.